La Geste de Morsignol

Oyez, oyez bonnes gens !
Écoutez ce récit (presque) tragique
Où un homme au regard mystique
Devint le héros de son temps !

C'était au temps des Charles et des Louis,
Quand le noble guerroyait lorsqu'il s'ennuyait,
Que les chevaliers, d'épées et de lances, usaient,
Un homme ni bon ni mauvais se lavait au puits.

Jeune et fort, tel qu'espéré à son âge
Il ne savait s'il était destiné à quelque présage
Quand sur lui fondirent deux hommes fort armés
Et, de son ablution matinale, vinrent l'arracher.

"Eh là, manant ! Viens-t'en donc avec nous.
Notre sire, le roi a fait mander
Tout homme assez fort pour tenir debout
Et l'enrôler dans l'armée."

"Non pas que je veuille de respect lui manquer,
Mais il me semble que votre roi manque de manières
Quand par un si bon matin l'on vient déranger
Un homme dans ses activités routinières.

Dites au roi que je viendrais s'il me plaît,
Le sort de ce royaume, je n'en ai cure ;
Ma vie ne dépasse pas cette haie,
Partez maintenant, sombres raclures."

"Jamais manant nous ne saurons délivrer
Un message aussi insultant.
Soyez honnête et franc,
Venez à notre roi pour le lui raconter."

La ruse n'eut pas d'effet sur le jeune homme ;
Morsignol, de son nom, n'était pas si bête
Et malgré la laideur affichée par sa tête,
Rentra chez lui boire un jus de pommes.

Les gardes royaux filèrent, dépités,
Annoncer à leur roi tant aimé
Que son ordre n'eut pas l'effet escompté
Et qu'on venait de les envoyer bouler.

"Comment ?!" s'indigna le roi,
"Voilà que l'on se soustrait à ma loi !
Moi, aussi bon et généreux que j'ai été,
Il refuse de m'aider pour glander !

Retournez voir chez ce gus,
Et s'il préfère à l'armée, être ivre,
N'hésitez pas à lui faire ce laïus :
On ne doit pas désobéir si l'on veut vivre !"

Ainsi les deux soldats s'en furent.
Devant leur interlocuteur, ils s'arrêtèrent,
Puis, leur argumentaire ils déballèrent,
Le garçon les stoppa : "Tirez-vous, bande d'enflures !"

Les gardes royaux filèrent, inquiets,
Annoncer à leur roi tant aimé
Que son ordre n'eut pas l'effet escompté
Et que le jeune homme s'en tapait.

"Comment ?!" ragea le roi,
"Voilà qu'on se soustrait à ma loi !
Allez retrouver ce Morsignol,
Qu'il rejoigne les rangs, même à coup de torgnoles !"

Ainsi les deux soldats s'en furent.
Devant leur interlocuteur, ils s'arrêtèrent,
Épées, haches et lances, ils déballèrent,
Le garçon les attendait : "Venez, raclures !"

Ces gens d'armes chargeant, armés,
Morsignol but une dernière lampée ;
Les soldats, peut-être myopes,
Valdinguèrent sous les coups de chope.

Épées émoussées et lances brisées,
Les soldats royaux s'en furent
Et devant leur roi, firent tellement pitié,
Que celui-ci hurla : "Amenez ma monture !"

Le roi chevaucha dix jours durant,
Et parvint à la maison de Morsignol
Avec dans ses sacoches un tas de babioles,
Espérant le faire rentrer dans le rang.

Le jeune homme l'accueillit : "Mon roi,
Je ne vous reçois pas dans la joie,
En votre nom, j'ai été agressé
Pour que l'on me force à intégrer votre armée."

Le roi répondit : "Il est vrai que j'ai besoin
De valeurs et de courage,
Maintenant, s'il te plait, sois sage,
Rejoins l'armée, on va pas en faire un foin !"

"Messire, je crois que vous faites erreur.
J'ai rossé vos hommes sans difficulté,
Si c'est par la ruse ou la force que vous me contraignez,
Je vous renverrai chez vous dans l'heure !"

"Ce sont là les paroles d'un inconscient !
Gardes ! Saisissez ce pauvre fou !
Jetez-le dans mes geôles ou dans un trou,
Mais ne laissez libre ce malfaisant !"

À ces mots la suite royale sauta sur lui,
Et Morsignol, par les bras, par les jambes fut saisi.
Dans sa main, la chope dont il tenait l'anse,
Lui permit à son tour de mener la danse.

Heaumes et armures tournoyèrent dans l'air sec,
Brillant au soleil de leurs multiples facettes,
Un peu comme dans une discothèque ;
De l'acier ne restait que des miettes.

Morsignol avança vers le souverain,
Dans sa face lui mit un gros pain ;
À son réveil le monarque regarda plus avant,
Toute sa suite gisait, vivante mais sans dents.

Le cul terreux, le roi se relevait,
Jurant qu'il n'avait jamais vu une telle force,
Un tel courage, jamais, ô jamais !
Qu'une grosse biture renforce !

Pris de peur de voir Morsignol déferler
Sur son palais, sur son armée,
Lui proposa, par messager interposé
De le promouvoir chevalier.

Morsignol n'était pas né de la dernière pluie,
Il fit corriger le roi et rédigea un édit :
Refusant d'entrer dans l'armée,
Morsignol ne serait point fait chevalier.

À la place de cette promotion,
Le jeune homme sera connu sous ce nom,
Ce que la loi et la force ne peuvent engager :
Voici Morsignol, le chopevalier.